crédit photo ©Stéphanie Delpon
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Celle-ci ne vous vendra pas le dernier article à la mode, ne vous décryptera pas la dernière tendance à suivre, mais vous parlera purement et simplement de lecture. Et si la lecture revient à la mode, si le livre devient le plus prisé des accessoires, alors tant mieux !
Lettre de Georges Pompidou à son fils
Résister aux GAFAs, tenter de protéger ce temps libre, notre « trésor de guerre », dont parle si bien Gerald Bronner dans son livre Apocalypse Cognitive . C’est refuser qu’on nous vole notre précieux bien : notre capacité d’attention. Et pour cela le livre est notre meilleur allié, notre rempart, notre bouclier.
Si vous lisez l’ouvrage de BJ Fogg, Persuasive Technology, le fondateur de la science de la captologie (les technologies numériques visant la persuasion et l’assujetion des individus) qui enseignait à Stanford et qui a eu une grande influence sur les fondateurs de Facebook et Instagram, vous comprendrez une chose très simple. Notre capacité d’attention est une opportunité à saisir pour des entreprises comme Tik Tok, Instagram, Snapchat, Facebook qui font leur argent sur ces temps morts ( scroller avant de se coucher, au lever, en prenant le métro, etc). Sauf que mis bout à bout, tous ces temps morts grignotent toute notre vie. Et surtout nous précipitent vers une mort cérébrale.
Lire, c’est accéder à la nuance, à une finesse d’esprit, d’analyse, qui aiguise notre discernement. « Ose penser ! » nous disait Kant. Sempere aude. Et pour penser avec acuité, il faut s’immerger pleinement dans la Source qu’est le Livre. Le meilleur remède à la simplification de la pensée et à sa paupérisation consiste à se laisser emporter par l’ivresse livresque, si je peux me permettre le mot.
Il s’agit d’un enjeu de société, de civilisation. De santé publique aussi. Utiliser notre capacité d’attention à bon escient et librement est un défi majeur aujourd’hui.
Je suis une grande lectrice depuis toujours. En classe préparatoire littéraire hypokhâgne/khâgne je pouvais lire jusqu’à 7h par jour sans m’arrêter. A 25 ans j’ai créé mon agence de publicité. J’étais dans l’action, je passais un temps fou sur les réseaux sociaux dans le cadre de mon travail. Puis un jour j’ai voulu reprendre un livre. Et le constat fut accablant : je ne parvenais pas à lire plus d’un paragraphe sans m’emparer de mon téléphone, mon doudou, pour regarder mes messages, mes notifications. Cette expérience a été très douloureuse et assez humiliante pour la lectrice que j'étais. Mais avec humilité, j’ai pu reconquérir ma capacité de concentration, ma puissance de lecture, en m’endormant chaque soir avec un livre. A présent, je peux lire des heures en coupant mon portable et m’immerger pleinement dans ma lecture. C’est un plaisir immense et cela me procure une grande joie.
Ce que l’éditeur de Julien Gracq, José Corti dans la quatrième de couverture de En lisant en Ecrivant nomme : “un projet d’autonomie individuelle et collective » constitue aujourd’hui un enjeu de taille. Un enjeu civilisationnel. Quel cerveau léguerons-nous à nous enfants ? Seront-ils capables de s’abreuver librement et consciemment à la source des livres ? Pourront-ils appréhender des sujets complexes ? Ou se contenteront-ils d’un savoir simplifié, d’une information rendue digeste mais néanmoins indigente, par l’intermédiaire de chatgpt et autre intelligence artificielle ?
Lire est un acte de résistance volontaire. Comment faire ? En regardant moins la télévision par exemple, même si j’adore Netflix and chill. Et si vous regardez un film ou un documentaire, allez plus loin, en fouillant un sujet, lisez son œuvre originale, allez à la source ! (ps : j’ai adoré la blague du Gorafi :"Le film Le Compte de Monte-Cristo bientôt adapté en livre ":)
En s’affranchissant de nos laisses digitales, en coupant les notifications de notre téléphone. Qui, comme le disait mon professeur de philosophie en hypokhâgne monsieur Jean-Noël Dumont, « rendent la vie poreuse ». Qui nous trouent, nous percent, nous vident et nous étiolent.
Lire c’est se recentrer, c’est entrer dans la durée pure chère à Bergson. C’est être là, dans la durée de la page. Lire, c’est être aligné, avec son tempo intérieur. Lire, c’est être au présent. C’est refuser d’être aliéné, rendu extérieur à soi-même par des activités qui nous privent de notre liberté de penser et de notre discernement. Lire c’est s’émanciper, refuser d’être réduit à néant par ces activités qui nous étourdissent et nous abrutissent. Comme Tik Tok et autres applications divertissantes mais néanmoins chronophages.
A titre personnel, je lis beaucoup, tout le temps. Chez moi, dans le métro, dans le bus. Je lis sur tous supports. Livres au format papier que j’achète en librairie, en ligne, ou des livres anciens dans les brocantes. Je lis aussi beaucoup sur tablette, j’ai une Remarkable et un iPad. J’écoute aussi des livres audio, j’adore cette immersion dans l’histoire et dans la voix. Je dirais que je lis à maintenant à part égale entre version papier et numérique. J’en tire des plaisirs et des bénéfices distincts. Comme quoi le numérique n’est pas un naufrage, loin de là.
L’écrivain contemporain François-Henri Désérable voit la lecture comme une inspiration, et son pendant, l’écriture, une expiration. J’aime beaucoup cette image. Laissons-nous inspirer, et avec un peu de chance nous pourrons insuffler notre enthousiasme à des oeuvres futures ! Et inspirer des lecteurs !
Je ne connais pas d’activité plus noble, plus vertueuse que la lecture. On peut lire plus que de raison, on en sortira toujours grandi, amplifié, bonifié.
Plus on lit, plus la nuance se fait jour, plus les couleurs apparaissent, dans leur clarté, leur subtilité.
Alors comme dit Oscar Wilde, “la meilleure manière de résister à la tentation, c’est d’y céder !”
Je finirai avec Baudelaire « Il faut être toujours ivre, tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrez sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !”
Alors oui, enivrez-vous, de vin de poésie... Bon, pas de vin, nous sommes en plein dry January.
Mieux : Enlivrez-vous !
Je vous recommande les excellents ouvrages de :
- Bruno Patino La Civilisation du Poisson Rouge, Tempête dans le Bocal et Submersion
https://www.leslibraires.fr/livre/22848407-submersion-bruno-patino-grasset
-Gerald Bronner, Apocalypse cognitive
-Bj Fogg, Persuasive technology
-Antoine Compagnon : La Littérature, ça paye !
https://www.leslibraires.fr/livre/23667612-la-litterature-ca-paye-antoine-compagnon-equateurs
-Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Michel Desmurget
-En lisant, en écrivant, Julien Gracq
https://www.leslibraires.fr/livre/20444974-en-lisant-en-ecrivant-gracq-julien-jose-corti
-Pourquoi lire, 13 bonnes raisons au moins, (j’ai adoré la réponse d’Annie Ernaux à la question !)
Cette newsletter fait partie de mes bonnes résolutions pour l’année 2025 . Comme je lis beaucoup, j’ai envie de partager, de faire circuler. Je suis ouverte à toute suggestion quant aux futurs contenus que je vais proposer sur cette newsletter.
Ah oui, et si vous avez aimé ce contenu, partagez-le !
J’ai la chance pour cette Newsletter littéraire de nouer un partenariat avec Leslibrairies.fr qui soutiennent les libraires !
crédit photo ©Stéphanie Delpon
This one won’t try to sell you the latest trendy item or decode the newest must-follow trend. Instead, it will talk purely and simply about reading. And if reading becomes fashionable again, if books turn into the most sought-after accessories, then so much the better!
Letter to Georges Pompidou to his son : “ In this world that is now yours, to read, think, dream, laugh and discover is to resist. Dad.”
Resist the GAFAs, to strive to protect that free time, our “war treasure,” as Gérald Bronner so rightly describes in his book Apocalypse Cognitive. It is to refuse to let these companies steal our most precious asset: our ability to focus. Book is hence our our greatest ally, our fortress, our shield.
If you read BJ Fogg’s book, Persuasive Technology, the founder of the science of captology (digital technologies aimed at persuading and alienating individuals), who was a teacher at Stanford and greatly influenced the founders of Facebook and Instagram, you’ll understand one very simple thing: our attention span is an opportunity to be seized by companies like TikTok, Instagram, Snapchat, and Facebook. These companies profit from our idle moments—scrolling before bed, upon waking, during a commute, and so on. But when all these idle moments are added up, they slowly consume our entire lives. And, more importantly, they push us toward mental decay.
To read is to access nuance, a sharpness of mind and analysis that hones our discernment. “Dare to think!” Kant urged us. Sapere aude. And to think with clarity, one must fully immerse themselves in the Source that is the Book. The best remedy against the oversimplification and impoverishment of thought is to allow oneself to be swept away by the intoxicating power of books.
This is a societal and civilizational issue, as well as a matter of public health. Using our attention consciously and wisely is one of the greatest challenges we face today.
I’ve been an avid reader all my life. During my classe préparatoire littéraire (hypokhâgne/khâgne), I could read for up to seven hours a day without stopping. At 25, I founded my advertising agency Pictoresq. I was constantly in action, spending countless hours on social media for work. Then, one day, I decided to pick up a book again. The realization was brutal: I couldn’t read more than a single paragraph without reaching for my phone—my comfort blanket—to check messages and notifications.
That experience was painful and deeply humbling for the reader I once was. But with humility, I managed to reclaim my ability to focus and my passion by falling asleep each night with a book. Now, I can read for hours, turning off my phone and immersing myself fully in the pages. It’s an immense pleasure that brings me profound joy. I am very proud of this achievement.
What Julien Gracq’s publisher, José Corti, called in the back cover of En lisant, en écrivant: “a project of both individual and collective autonomy” is now a major challenge. It is a civilizational challenge. What kind of brain will we leave to our children? Will they be capable of freely and consciously immerse themselves in books? Will they be able to grasp complex topics? Or will they settle for simplified knowledge, made palatable but intellectually indigent, served up by ChatGPT and other forms of artificial intelligence?
Reading is an act of conscious resistance. How? By watching less television, even though I love a good Netflix and chill. And if you do watch a movie or documentary, take it further: explore the subject, read the original work, go to the source! (Side note: I loved the Gorafi joke: “The movie The Count of Monte Cristo soon to be adapted into a book.” ;)
Breaking free from our digital leashes, and turning off phone notifications. As my philosophy teacher in hypokhâgne, Mr. Jean-Noël Dumont, used to say: “They make life porous.” They perforate us, hollow us out, drain us, and diminish us.
Reading help us find our center. While reading, we enter the ‘pure duration’ dear to Bergson. We are present in the blank page, aligning ourselves with our internal tempo. Reading is being in the now. It is refusing to be alienated, to be made external to ourselves by activities that rob us of our freedom to think and our capacity for discernment. To read is to emancipate ourselves, to refuse to be reduced to nothingness by mind-numbing, time-consuming activities like TikTok and other entertaining yet ultimately mentally draining apps.
Personally, I read constantly. At home, on the metro, on the bus. I read on all formats: paper books I buy in bookstores, online, or at flea markets, and I also read extensively on tablets. I own both a Remarkable and an iPad. I also listen to audiobooks—I love immersing myself in a story through voice. These days, I split my reading equally between physical books and digital formats, each offering distinct pleasures and benefits. Proof that the digital age isn’t a disaster—far from it.
Contemporary writer François-Henri Désérable describes reading as an inhalation, and its counterpart, writing, as an exhalation. I love this image. Let us allow ourselves to inhale inspiration, and with a bit of luck, we may breathe enthusiasm into future works—and inspire other readers!
I know no activity more noble, more virtuous than reading. If you read abundantly, you will always emerge enriched, expanded, elevated.
The more you read, the more nuance comes to light, the more colors reveal themselves in all their clarity and subtlety.
So, as Oscar Wilde said: “The only way to get rid of a temptation is to yield to it.”
I’ll end with Baudelaire:
“You must always be intoxicated. That is all: it is the only question. To not feel the horrible burden of time that breaks your shoulders and bends you to the earth, you must become drunk without respite. But on what? On wine, on poetry, or on virtue, as you wish. But get drunk!”
So yes, intoxicate yourselves—with wine, with poetry… Well, maybe not wine—it is Dry January, after all.
Better yet: intoxicate yourselves with books. Enlivrez-vous for god sake!
I highly recommend these excellent works:
• Bruno Patino: La Civilisation du Poisson Rouge, Tempête dans le Bocal, and Submersion
https://www.leslibraires.fr/livre/22848407-submersion-bruno-patino-grasset
• Gérald Bronner: Apocalypse Cognitive
• BJ Fogg: Persuasive Technology
• Antoine Compagnon: La Littérature, ça paye !
https://www.leslibraires.fr/livre/23667612-la-litterature-ca-paye-antoine-compagnon-equateurs
-Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Michel Desmurget
-En lisant, en écrivant, Julien Gracq
https://www.leslibraires.fr/livre/20444974-en-lisant-en-ecrivant-gracq-julien-jose-cortii
-Pourquoi lire, 13 bonnes raisons au moins, (I loved Annie Ernaux’s response to the question!)
This newsletter is part of my New Year’s resolutions for 2025. As I read a lot, I want to share and pass it on. I’m open to suggestions for future content I could include in this newsletter.
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Beautiful words and thoughts! It's been quite a while since I last read such high-quality posts…
Très beau texte. J'ai, en plus, adoré toutes les infos pratiques.